Ce jeudi 23 janvier à Jérusalem s’est réuni le
cinquième forum international sur la Shoah. A cette occasion l’Etat d’Israël a
accueilli plus d’une quarantaine de chefs d’états ou de gouvernements de la
planète. Cet événement prenait place à quelques jours du 27 janvier, date
anniversaire de l’ouverture du camp d’Auschwitz en 1945. Ouverture et non
libération car, pour employer ce dernier terme il eût fallu que les troupes
alliées interviennent bien avant cette date, lorsque les chambres à gaz tournaient
à plein régime, engloutissant jusqu’à dix mille êtres humains par jour. Au lieu
de quoi elles trouvèrent quelques milliers de cadavres et de survivants
squelettiques, les autres ayant déjà été évacués par les nazis lors des
sinistres « marches de la mort » vers d’autres camps.
Ici je ne peux m’empêcher de penser à Haïm-Vidal Sephiha né le 28 janvier
1923 et disparu le 17 décembre dernier. Déporté à Auschwitz et ayant participé
à une de ces terribles marches de la mort, il nous a maintes fois raconté
comment il s’est accroché à la vie ce 28 janvier 1945 en se murmurant sans
cesse : « Tu ne vas quand même pas mourir le jour de tes 22 ans !
Il faut continuer coûte que coûte ». Il aurait eu 97 ans mardi prochain.
Paix à son âme et à celles de tous les survivants disparus depuis lors.
Voici ce que dit Wikipédia à propos de la date du 27 janvier : « La Journée internationale
dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste, International
Holocaust Remembrance Day, est une journée internationale du souvenir de
l’Holocauste et
de prévention des crimes contre l’humanité instituée à l’initiative
des ministres de l’Éducation des États membres du Conseil de l’Europe en octobre 2002 et
suivie par l'Organisation des Nations unies.
Par une résolution intitulée
« Mémoire de l’Holocauste » adoptée le 1er novembre
2005, l’Assemblée générale a décidé que les Nations unies la célèbreraient
chaque année, le 27 janvier, à la date d’anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz. […] Cette résolution,
intitulée « Mémoire de l'Holocauste », a été adoptée le 21 novembre 2005. Elle
rappelle les droits et libertés associées à la Déclaration universelle des droits de
l’homme, « sans distinction aucune, notamment fondée sur
la race,
sur la religion ou
sur toute autre condition », elle rappelle également le principe
fondateur des Nations unies, dont la
création est liée à la défaite du régime nazi et « décide que les
Nations unies proclameront tous les ans le 27 janvier Journée internationale
dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste ». Elle encourage les
États à promouvoir des projets éducatifs et à protéger les lieux de mémoire
liés à l'Holocauste, elle condamne toute manifestation qui viserait à sa
négation, l'intolérance religieuse et enfin
s'engage à promouvoir un programme au niveau des Nations unies afin de
perpétuer la mémoire de l'Holocauste et empêcher qu'un tel évènement se
reproduise. »
L’idée du
forum mondial pour mettre en application cette décision du Conseil de l’Europe
puis des Nations Unies est due à Moshé Kantor, président du Congrès juif
européen, président du comité d’organisation du forum. Cet homme, entrepreneur
russe milliardaire, par ailleurs chef de la communauté juive de son pays, a mis
toute son énergie et sa fortune au service de ce forum. Quatre éditions de cet
événement ont eu lieu en 2005 à Cracovie, en 2006 à Kiev, en 2010 à Cracovie,
en 2015 à Prague et Terezin. Il est significatif et ô combien symbolique que ce
cinquième forum se tienne à Jérusalem et soit accueilli à Yad Vashem, haut-lieu
de la mémoire de la Shoah. Il faut savoir que ce forum mondial porte également
le nom de Laissez vivre mon peuple ! Pour avoir suivi, entre
autres, les interventions du président de l’Etat d’Israël, Reuven Rivlin et du
premier Ministre, Benjamin Netanyahou, j’ai pu mesurer combien l’accent a été
mis sur l’antisémitisme dont c’était l’un des thèmes de ce forum, l’autre étant
« se souvenir de la Shoah ». Les discours de ces deux hommes ne
laissaient aucun doute quant à la volonté d’Israël de combattre partout dans le
monde l’antisémitisme et de défendre avec la plus grande énergie le pays des
menaces, voire des passages à l’acte, dont il est continuellement l’objet. La
situation qui prévalait avant et pendant la Shoah, faisant des Juifs les
victimes et les boucs émissaires des pouvoirs totalitaires ne se renouvellera
plus. Israël s’en porte garant et s’est donné tous les moyens pour assurer ce
nouvel état des choses.
Ce qui est rassurant, c’est que des nations de plus en
plus nombreuses aient pris conscience de cette réalité et mis en œuvre des
mesures pour que le vœu pieux de « plus jamais ça » se traduise par
des actes. Le président Rivlin a distribué des bons points à plusieurs pays (l’Allemagne,
le Royaume Uni, la France, la Russie, etc.) pour leurs efforts afin d’endiguer
l’antisémitisme renaissant.
Un discours a été particulièrement émouvant :
celui du président allemand Frank-Walter Steinmeier. Il l’a
débuté par la récitation en hébreu de la bénédiction que l’on dit lorsqu’on
arrive à un événement important. « Béni soit le Seigneur pour m’avoir
permis d’être ici ce jour ». Puis il a poursuivi en citant le nom de
quelques victimes de la déportation. « Ici, à Yad Vashem, brûle la flamme
éternelle en souvenir des victimes de la Shoah. Ce lieu nous rappelle leur
souffrance. La souffrance de millions de personnes. Et il nous rappelle leur
vie – chaque vie individuelle. […] Moi aussi, je me
tiens devant cette stèle en tant qu’être humain – et en tant qu’Allemand. Je me
tiens devant leur monument. Je lis leurs noms. J’entends leurs histoires. Et je
m’incline dans la plus grande tristesse. Samuel et Rega, Ida et Vili étaient
des êtres humains. Et cela doit également être dit ici : Les auteurs
étaient des êtres humains. C’étaient des Allemands. Ceux qui ont assassiné,
ceux qui ont planifié et aidé à l’assassinat, les nombreux qui ont
silencieusement franchi la ligne : C’étaient des Allemands. Le massacre
industriel de six millions de Juifs, le pire crime de l’histoire de l’humanité,
a été commis par mes compatriotes. Cette terrible guerre, qui a coûté bien plus
de 50 millions de vies, elle a été menée par mon pays. 75 ans après la
libération d’Auschwitz, je me présente devant vous tous en tant que Président
de l’Allemagne – je me tiens ici chargé du lourd fardeau historique de la
culpabilité. […] La flamme éternelle à Yad Vashem ne s’éteint pas. La
responsabilité de l’Allemagne n’expire pas. Nous voulons être à la hauteur de
notre responsabilité. C’est à cela que vous devez nous mesurer. […] Oui, nous,
les Allemands, nous nous en souvenons. Mais il semble parfois que nous
comprenions mieux le passé que le présent. Les esprits du mal apparaissent sous
une nouvelle forme, présentant leur pensée antisémite, raciste et autoritaire
comme une réponse pour l’avenir, une nouvelle solution aux problèmes de notre
époque. J’aimerais pouvoir dire que nous, les Allemands, avons appris de
l’histoire une fois pour toutes. Mais je ne peux pas dire cela alors que la
haine se répand. Je ne peux pas dire cela lorsque des enfants juifs se font
cracher dessus dans la cour d’école, je ne peux pas dire cela lorsque
l’antisémitisme grossier se cache sous une prétendue critique de la politique
israélienne. Je ne peux pas dire cela lorsque seule une épaisse porte en bois
empêche un terroriste de droite de provoquer un bain de sang dans une synagogue
de la ville de Halle, le jour du Yom Kippour. ̶ Bien sûr, notre époque est
différente. Les mots ne sont pas les mêmes. Les auteurs ne sont pas les mêmes.
Mais c’est le même mal. Et il ne reste qu’une seule réponse : Plus jamais
ça ! Nie wieder ! […] « Qui sait
si nous entendrons encore jamais le son magique de la vie ? Qui sait si nous
pouvons nous tisser une toile pour l’éternité ? » Salmen Gradowski a écrit
ces lignes à Auschwitz et les a enterrées dans une boîte de conserve sous un
crématorium. Ici, à Yad Vashem, elles sont tissées pour l’éternité : Salmen
Gradowski, Samuel et Rega Tytelman, Ida et Vili Goldish. Ils ont tous été
assassinés. Ils ont perdu la vie à cause d’une haine sans limite. Mais notre
souvenir d’eux permettra de vaincre l’abîme. Et nos actions vaincront la haine.
Pour ceci, je me lève. Pour cela, j’espère. » Et le président allemand a
conclu son discours par la récitation, une nouvelle fois, de la bénédiction
prononcée au début.
J’aurais pu
conclure par ces paroles inouïes venant de la plus haute autorité du pays qui
engendra le chaos et la tourmente, la désolation et la catastrophe (en hébreu shoah).
Mais je voudrais quand même ajouter quelques mots encore pour dire combien
toutes ces présences officielles dans ce lieu si symbolique de Yad Vashem, ces
paroles fortes et émouvantes à la fois, résonnant 75 ans après l’ouverture du
camp d’Auschwitz et celle des autres camps d’extermination nazis, à Jérusalem,
capitale de l’Etat d’Israël bâti dans la sueur et le sang par des survivants du
pire génocide de l’histoire des hommes, combien donc ce rassemblement fraternel
des plus grandes nations de la terre en ce jour et en ce lieu pourrait être
annonciateur de temps messianiques à la condition que toutes ces paroles, et
ces accolades chaleureuses, et ces larmes discrètement écrasées, et ce respect
mutuel ne restent pas lettres mortes.
Shabbath shalom à tous et à
chacun, Daniel Farhi.
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