En marge de Pourim : de l’Iran
à la Perse, puis de la Perse à l’Iran.
Ce fut au temps d’Assuérus, de cet Assuérus qui régnait depuis l’Inde
jusqu’à l’Ethiopie, sur cent vingt-sept provinces ; et le roi Assuérus
était alors assis sur son trône royal à Suse, dans la capitale » (Esther,
1:1-2). C’est ainsi que s’ouvre le livre d’Esther que nous lirons lundi soir et
mardi prochains dans les synagogues à l’occasion de la fête de Pourim. Dès le
verset suivant, il est question des commandants de l’armée des Perses et des
Mèdes. Le récit d’Esther est censé se dérouler sous le règne de Xerxès Ier (486-465
av.).
L’histoire nous apprend que les habitants du royaume de Xerxès se
revendiquaient du nom d’Iraniens. En effet, ce mot désigne les Aryens, Âiriyā, signifiant « noble » en avestique, langue
indo-iranienne ancêtre du persan. Iran était donc le premier nom de la Perse.
Cette dernière fut ainsi nommée par les Grecs et les Romains qui le firent en
référence à la Perside, région du Fars dans le sud-ouest de l’Iran, d’où
étaient issus les Achéménides et les Sassanides. – En 1935, Reza Shah Pahlavi
demanda aux pays étrangers de rebaptiser le pays « Iran » au lieu de « Perse ».
Dans un article du Point de mai 2018, Ardavan Amir-Aslani, avocat et
essayiste, auteur de De la Perse à l'Iran, 2 500 ans d'histoire, paru
aux éditions Archipel en 2018, explique cette antériorité du nom d’Iran. Il
infirme une thèse développée par Bernard-Henri Lévy dans un livre récent « L’empire
et les cinq rois » selon laquelle Reza Shah Pahlavi aurait décidé le
passage de son pays du nom de Perse à celui d’Iran pour complaire à l’Allemagne
d’Hitler, laquelle s’était emparée de la notion d’Aryen pour développer les
terribles thèses raciales que l’on sait. Je cite ici Ardavan Amir-Aslani :
« Il reste
vrai que ce changement de nom s'effectua après un rapprochement diplomatique
avec l'Allemagne nazie. Néanmoins, on aurait tort d'y voir un quelconque
rapprochement idéologique, car il n'y a aucun lien entre l'aryanité des
Iraniens et celle des nazis. Comme le souligne le chercheur Frédéric Sallée, si
l'Iran se rapproche de l'Allemagne, c'est plus par opportunisme que par souci
idéologique. »
Je me
garderai bien de trancher dans cette controverse. Si les arguments de Amir-Aslani
ont une certaine cohérence, je ne peux m’empêcher de constater que ceux de BHL
font sens également, ne fût-ce qu’à cause de la date de 1935 choisie pour le
changement de nom du pays, en pleine ascension du nazisme, sachant par ailleurs
les accointances de l’Iran avec l’Allemagne et son alliée de la première guerre
mondiale, la Turquie. Comment ne pas être tenté par un rapprochement entre
cette décision et l’amitié du grand Mufti de Jérusalem pour Hitler ?
La Bible
dépeint Assuérus comme un roi veule prêt à laisser Hamane exterminer le peuple
juif par opportunisme. Ce n’est que la révélation de la judéité de son épouse,
la reine Esther, et son plaidoyer pour les siens qui empêcheront la réalisation
du sinistre projet de « solution finale » d’Hamane. Le premier du
genre, mais hélas pas le dernier comme nous l’avons appris à nos dépens il y a
80 ans. Ce n’est pas par hasard que la Bible rappelle l’ascendance d’Hamane :
Agag, roi des Amalécites défait lors de la bataille contre Saül et exécuté par
Samuel. Les Amalécites, descendants d’Amalek, le roi qui voulut détruire le
peuple hébreu conduit par Moïse lors de la sortie d’Egypte. Amalek, le symbole
de l’ennemi héréditaire d’Israël. Etrangement, c’est en Iran qu’on trouve
encore de nos jours les vestiges archéologiques de l’histoire d’Esther vénérés
par les Juifs et … les Musulmans ! En Iran, comme dans d’autres pays,
aujourd’hui ennemis d’Israël, des communautés juives ont prospéré. Le réseau
des écoles de l’Alliance Israélite Universelle (AIU créée en 1860) en a longtemps
témoigné. Je n’oublie pas le discours prononcé par André Malraux, ministre de
la culture du général De Gaulle en 1960 à l’occasion du centenaire de l’AIU
dans lequel il rendit un hommage éclatant à ses écoles qui ont fait rayonner les
valeurs de la France aux côtés de celles du judaïsme. – Ce mélange d’amour et
de désamour envers les Juifs par les populations au sein desquelles ils ont
évolué se retrouve dans l’histoire de Pourim où, tour à tour, ils sont voués à
une extermination totale puis, à travers les personnages de Mardochée et d’Esther,
réhabilités et promus aux plus hautes fonctions. De l’Iran à la Perse, puis de
la Perse à l’Iran actuel, cette schizophrénie se vérifie sans que pourtant les
Juifs aient changé.
Pourim, c’est
peut-être l’expression suprême de cette versatilité des nations envers le
peuple juif. A l’époque de Joseph, il en fut de même lorsqu’un nouveau roi s’éleva
sur l’Egypte qui, nous dit la Bible, ne l’avait pas connu et/ou voulut ignorer
les bienfaits dont son pays lui était redevable. Plus tard, lorsque ce même
Pharaon qui asservit les Israélites, finit par les laisser quitter l’Egypte, il
demande à Moïse de le bénir ! Le tout pour nous est de toujours garder la
tête froide, une forte lucidité et une vigilance permanente, moyennant quoi
nous pourrons continuer de vivre malgré les vents contraires, arrimés à nos
valeurs et à nos espérances.
Shabbath shalom, Hag
Pourim saméah à tous et à chacun, Daniel Farhi.
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