Qu’est-ce qu’on mange ce soir ? Voilà une
question que les mères (et peut-être certains pères, ne soyons pas sexistes) de
famille entendent bien souvent. Sempiternel refrain qui doit être un véritable
casse-tête pour celles qui l’entendent quotidiennement. Ce serait tellement plus
simple si le menu était toujours le même ! Et pourtant, la Torah, dans la
parasha Shemini que nous lisons cette semaine nous fournit une grande
variété, sinon de menus, du moins d’aliments que nous pouvons consommer.
C’est
au chapitre 11 du Lévitique, en effet, que sont énoncées les règles de
l’alimentation cashère, c’est-à-dire indiquant les animaux dont la
consommation est interdite et ceux pour lesquels elle est autorisée. Peut-être
qu’un petit rappel ne sera pas inutile à l’intention de mes lecteurs juifs et
non-juifs auquel ce chapitre du Lévitique aurait échappé ?
L'Éternel parla à
Moïse et à Aaron, en leur disant : "Parlez ainsi aux enfants
d’Israël : voici les animaux que vous pouvez manger, entre tous les
quadrupèdes qui vivent sur la terre : tout ce qui a le pied corné et
divisé en deux ongles, parmi les animaux ruminants, vous pouvez le manger. Quant aux suivants, qui ruminent ou qui ont
le pied corné, vous n'en mangerez point: le chameau, parce qu'il rumine mais
n'a point le pied corné: il sera immonde pour vous; la gerboise, parce qu'elle
rumine, mais n'a point le pied corné: elle sera immonde pour vous; le lièvre,
parce qu'il rumine, mais n'a point le pied corné: il sera immonde pour vous ;
le porc, qui a bien le pied corné, qui a même le sabot bifurqué, mais qui ne
rumine point: il sera immonde pour vous. Vous ne mangerez point de leur chair,
et vous ne toucherez point à leur cadavre : ils sont immondes pour vous.
Voici ce que vous pouvez manger des divers animaux aquatiques : tout ce
qui, dans les eaux, mers ou rivières, est pourvu de nageoires et d'écailles,
vous pouvez en manger. Mais tout ce qui n'est pas pourvu de nageoires et
d'écailles, dans les mers ou les rivières, soit ce qui pullule dans l'eau, soit
les animaux qui l'habitent, ils vous sont abominables […]. Et voici, parmi les
oiseaux, ceux que vous repousserez ; on ne les mangera point, ils sont
abominables : l'aigle, l'orfraie, la vallérie ; le faucon et le vautour selon
ses espèces ; tous les corbeaux selon leurs espèces ; l'autruche, l'hirondelle, la mouette,
l'épervier selon ses espèces ; le hibou, le cormoran, la hulotte; le
porphyrion, le pélican, le percnoptère ; la cigogne, le héron selon ses
espèces, le tétras et la chauve-souris. Tout insecte ailé qui marche sur quatre
pieds vous sera une abomination.
Toutefois, vous pourrez manger, parmi les insectes ailés marchant sur
quatre pieds, celui qui a au-dessus de ses pieds des articulations au moyen
desquelles il saute sur la terre. […] Voici ceux que vous tiendrez pour impurs,
parmi les reptiles qui se traînent sur la terre : la taupe, le rat, le lézard
selon ses espèces ; le hérisson, le crocodile, la salamandre, la limace et le
caméléon. Ceux-là sont impurs pour vous entre tous les reptiles :
quiconque les touchera après leur mort sera souillé jusqu'au soir. […] Car je
suis l'Éternel, votre Dieu ; vous devez donc vous sanctifier et rester
saints, parce que je suis saint, et ne point contaminer vos personnes par tous
ces reptiles qui se meuvent sur la terre. Car je suis l'Éternel, qui vous ai
tirés du pays d'Egypte pour être votre Dieu ; et vous serez saints, parce que
je suis saint […].
Une première chose
ressort immédiatement de ces lois religieuses concernant la nourriture : elles
sont nombreuses, multiples et variées. Aucune autre religion ne comporte autant
d’interdits alimentaires. Par ailleurs, elles ne concernent pas les
végétariens ! Il ne s’agit en effet que de la consommation de viandes ou
de chairs issues d’animaux ; les végétaux sont tous autorisés. Mais
qu’est-ce qui justifie une telle place accordée à l’alimentation humaine ?
Si l’on suit la Torah, il est écrit : « Car je suis l'Éternel, votre
Dieu ; vous devez donc vous sanctifier et rester saints, parce que je suis
saint, et ne point contaminer vos personnes par tous ces reptiles qui se
meuvent sur la terre. Car je suis l'Éternel, qui vous ai tirés du pays d'Egypte
pour être votre Dieu ; et vous serez saints, parce que je suis saint […]. Et
là, notre stupéfaction est grande : en quoi la nourriture que nous
absorbons peut nous rendre saints, a fortiori saints comme Dieu qui est
incorporel et qui ne mange pas ? On comprend facilement l’injonction de
sainteté lorsque, quelques chapitres plus loin (Lévitique 19), nous lirons :
« Soyez saints, car je suis saint, moi l’Eternel votre Dieu »
immédiatement suivi des commandements de respect des parents, de l’observance
du shabbath ou de l’interdiction des idoles. Ces lois, et d’autres contenues
dans ce passage, ont pour objectif d’élever l’homme vers (sinon jusqu’à) la
sainteté divine. Elles sont d’ordre moral et spirituel, même si elles se basent
sur des gestes matériels ou sur un comportement familial concret. En tout cas,
elles répondent à la définition des mitsvoth qui aident l’individu à se
conduire selon la morale divine, s’identifiant ainsi à l’image de son Créateur
dont il est porteur.
Mais en quoi les
lois alimentaires répondent à cette approche ? Si je mange selon les
règles du Lévitique, je ne fais de bien à personne (sauf peut-être en aidant le
beth-dine de Paris à percevoir les taxes y afférentes) ; si je ne
mange pas selon ces mêmes lois, je ne fais de mal à personne. Il est donc clair
que cette législation ne fait pas partie des commandements entre l’homme et son
prochain, בין אדם לחברו. C’est
donc, si l’on suit la tradition rabbinique, qu’elle appartiendrait aux
commandements entre l’homme et Dieu בין אדם למקום. A moins qu’il ne s’agisse d’une catégorie non répertoriée par
les rabbins du Talmud : les commandements entre l’homme et lui-même ?
Mais n’est-ce pas là justement l’une des explications possibles à tous ces
commandements dont la pratique relève de l’intime et n’interfère pas avec la
société ? Plutôt que de se creuser la tête depuis des générations sur le
pourquoi de la cashroute, ne conviendrait-il pas de s’interroger sur son
interaction avec l’individu ? En effet, que n’a-t-on entendu d’hypothèses
à ce sujet ? Pour certains, les causes de cette législation seraient
d’ordre hygiénique ; pour d’autres, elles auraient pour but d’éviter les
contacts trop conviviaux des Israélites avec les idolâtres de l’époque ;
pour d’autres encore, c’est l’abattage rituel qui aurait pour but d’éviter
toute cruauté envers les animaux, etc. Mais on voit bien qu’aucune de ces
hypothèses ne tient la route dans la mesure où on pourrait opposer à chacune
d’elles des arguments imparables aujourd’hui.
J’avais jadis
intitulé un de mes sermons : « Manger et penser casher ». Avant
d’expliquer le sens de cette formule, je voudrais dire que la cashroute
dont les règles énoncées dans le Lévitique sont relativement claires et
simples, est devenue au fil des générations un véritable monument, ajoutant des
règles nouvelles aux premières, puis d’autres règles pour
« protéger » les deuxièmes. Et ainsi de suite, jusqu’à constituer
aujourd’hui un ensemble composé de centaines et de milliers de prescriptions
nouvelles au sein desquelles le Juif pratiquant y perd son hébreu ! C’est
Léon Ashkénazi ז"ל, dit Manitou,
qui avait lancé cette mise en garde : « Il ne faudrait pas que la cashroute
cache la route ! » C’est pourtant bien ce qu’il se passe, et ce
n’est pas l’approche de Pessah et de ses innombrables précautions qui
démentiront mon propos. – Mais revenons à « manger et penser casher ».
Par là, j’avais voulu montrer que l’accent excessif mis sur le labyrinthe des
lois alimentaires risquait de détourner de l’objectif énoncé par le
Lévitique : « Car
je suis l'Éternel, votre Dieu ; vous devez donc vous sanctifier et rester
saints, parce que je suis saint, et ne point contaminer vos personnes par tous
ces reptiles qui se meuvent sur la terre. Car je suis l'Éternel, qui vous ai
tirés du pays d'Egypte pour être votre Dieu ; et vous serez saints, parce que
je suis saint ». Les reptiles, c’est le symbole suprême de l’abomination
des idolâtres. Respecter les lois de la cashroute pourrait en effet
signifier s’écarter des mœurs en général des idolâtres. Leur nourriture n’est
que le symbole de leur immoralité.
En somme, et à condition que les règles alimentaires n’en
viennent pas à détourner l’individu de l’objectif moral des lois matérielles et
rituelles de la Torah, à savoir de le hisser par l’effort accompli vers la
volonté divine, ces règles donc auraient pour sens et finalité de rappeler
chacun à d’autres devoirs plus essentiels. Imaginer ces lois comme des fins en
soi et non des moyens serait une erreur profonde, car il importe peu, aux yeux
de Dieu, que nous mangions ceci plus que cela. Ce qu’Il attend de nous, c’est
qu’à travers ces commandements matériels, nous trouvions la voie vers une
conduite envers les autres digne de Son image dont nous sommes les porteurs.
Regardez bien au fond de vos assiettes, lorsque vous les aurez soigneusement
saucées avec du pain : si vous y voyez écrit « duralex », ce ne
sera pas l’indication d’une vaisselle solide et bon marché, mais peut-être dura
lex sed lex, la loi est dure, mais c’est la loi !
Shabbath shalom à tous et à chacun,
Daniel Farhi.
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