dimanche 23 juin 2019

Une lettre du rabbin Farhi - Notre-Dame valait bien une messe

Le 15 avril dernier, l’inimaginable s’est produit. La cathédrale Notre-Dame de Paris était en flammes. Après plus de 850 ans (c’est un morceau d’éternité), cet édifice religieux catholique connu dans le monde entier a vu sa charpente en poutres séculaires brûler comme un fétu de paille. Sa flèche, construite par l’architecte Eugène Viollet-le-Duc à la fin du XIXème siècle, en flammes également, s’effondre comme un château de cartes. Les courageux pompiers ont travaillé toute la nuit pour venir à bout de l’incendie, évitant probablement que d’autres parties de la cathédrale soient atteintes.


Et nous tous, devant nos écrans de télévision, voyions ces images en continu, assistant impuissants à la chute de la flèche cent fois répétée par les chaînes d’information, aux efforts des pompiers qui arrosaient de leurs lances ce brasier en une tentative dérisoire de sauver ce qui pouvait encore l’être. Cette scène m’a rappelé le 11 septembre 2001, lorsque les deux tours jumelles de New York, atteintes par les avions des terroristes, se sont effondrées en flammes devant nos yeux incrédules. Là aussi, la scène cauchemardesque se répétait inlassablement sans que nous puissions comprendre ce à quoi nous assistions.
Notre-Dame ! J’ai immédiatement posté sur Facebook le court texte suivant : « Notre-Dame, c’est « notre » dame à tous, quelles que soient nos croyances et religions, et même si nous ne croyons pas. À mes nombreux amis Chrétiens j’adresse mes pensées tristes et fraternelles en cette semaine Sainte terriblement endeuillée. Daniel Farhi, rabbin né à Paris et y ayant toujours vécu. » Comme tous les Français, j’éprouvais une peine infinie à voir ce lieu de l’Esprit dévasté, comme si cette catastrophe nous lançait un avertissement par rapport au matérialisme et au consumérisme excessifs que notre société génère. Notre-Dame en flamme, c’était Victor Hugo en deuil, lui qui, par son célèbre roman, a sans doute empêché la destruction de ce sanctuaire. En effet, après la Révolution et les guerres napoléoniennes, la cathédrale était dans un tel état de délabrement que les responsables de la ville commencèrent à envisager la possibilité de l’abattre totalement. C’est à ce moment que notre grand écrivain national, qui admirait l’édifice, écrivit son roman « Notre-Dame de Paris » (1831), lequel, par son immense succès, sensibilisa le public à la valeur de ce monument. Il n’est pas exagéré de dire que, par sa plume, Victor Hugo contribua amplement à sauver Notre-Dame de la destruction. Et rien n’empêche de penser que les âmes de Quasimodo et d’Esmeralda volètent sous les voûtes et dans les combles qui abritent les cloches dont la sonnerie a scandé les joies et les peines du peuple de France.

La semaine dernière, deux mois après le funeste incendie, une messe s’est tenue dans l’enceinte de la cathédrale, dans une des chapelles miraculeusement épargnée par le feu. C’était un spectacle insolite que cette quinzaine de prêtres sous la direction de l’archevêque de Paris, Mgr Michel Aupetit, et à peu près autant de laïcs, tous coiffés d’un casque blanc, joignant leurs prières dans ce lieu dont les caméras de la chaîne KTO ne nous ont pas caché les morceaux de poutres calcinées entassés là, ni les grandes bâches tendues en guise de toit provisoire, ni les voliges barrant les vitraux pour les protéger ; spectacle affligeant que les prières entonnées adoucissaient et revêtaient d’espoir. Des esprits chagrins ont pu exprimer que c’était un danger inutile qu’avait fait courir à ses participants cette messe dans un édifice sinistré et non encore entièrement sécurisé. Je pense, pour ma part, que cet acte audacieux, acte de foi, était de nature à rasséréner les innombrables Français, catholiques ou pas, pour lesquels Notre-Dame de Paris n’est pas qu’un lieu fréquenté par des dizaines de millions de touristes chaque année. Elle est avant tout un sanctuaire et le re-dédier, même très partiellement, à sa mission d’origine était un acte salutaire.

La dernière fois que j’ai pénétré dans la cathédrale, c’était pour la messe d’enterrement de Mgr Jean-Marie Aron Lustiger. J’étais le seul rabbin présent ce 10 août 2007 et j’en suis fier. Le feu n’a pas eu raison de la plaque apposée sur un des piliers centraux et dont le texte avait été écrit par Mgr Lustiger lui-même. Le voici : « Je suis né juif. J’ai reçu le nom de mon grand-père paternel, Aron. Devenu chrétien par la foi et le baptême, je suis demeuré juif comme le demeuraient les Apôtres. J’ai pour saints patrons Aron le Grand Prêtre, saint Jean l’Apôtre, sainte Marie pleine de grâce. Nommé 139e archevêque de Paris par Sa Sainteté le pape Jean-Paul II, j’ai été intronisé dans cette cathédrale le 27 février 1981, puis j’y ai exercé tout mon ministère. Passants, priez pour moi. † Aron Jean-Marie cardinal Lustiger, Archevêque de Paris ». Sa dépouille repose dans la crypte de Notre-Dame.

Depuis le 15 avril, j’avais soigneusement évité de passer à côté de la cathédrale blessée. La semaine dernière, me rendant au Mémorial de la Shoah, le GPS m’a fait emprunter le pont de la Tournelle et je n’ai pas pu ne pas voir ce spectacle qui m’attriste. Mon cœur s’est serré et je n’ai pu m’empêcher d’être choqué par la foule des touristes qui photographiaient le monument amputé de sa toiture et de sa flèche, multipliant à l’envi les selfies, sans doute pour les montrer à leurs amis à leur retour de voyage. Et puis, je me suis souvenu de la légende qui nous rapporte comment Rabbi Akiva, accompagné de Rabban Gamliel et de Rabbi Eléazar ben Azaria, s’approchant du Temple en ruines, se mit à rire. Ses collègues lui dirent : pourquoi ris-tu Akiva devant un tel spectacle ? Il leur répondit : maintenant que Dieu a accompli Sa menace de détruire Jérusalem pour le péché de ses habitants, je sais qu’Il accomplira celle de le reconstruire ! » (Talmud, traité Makoth 24b). Bien sûr, Notre-Dame n’est pas le Temple de Jérusalem, mais je crois qu’il faut exprimer le même espoir de reconstruction car, dans les deux cas, un lieu de Parole et de sainte inspiration ne saurait disparaître.
Shabbath shalom à tous et à chacun,
Daniel Farhi.

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