samedi 25 janvier 2020

Une lettre du Rabbin Daniel Farhi

Une quarantaine de gouvernants à Jérusalem pour commémorer la Shoah.
Ce jeudi 23 janvier à Jérusalem s’est réuni le cinquième forum international sur la Shoah. A cette occasion l’Etat d’Israël a accueilli plus d’une quarantaine de chefs d’états ou de gouvernements de la planète. Cet événement prenait place à quelques jours du 27 janvier, date anniversaire de l’ouverture du camp d’Auschwitz en 1945. Ouverture et non libération car, pour employer ce dernier terme il eût fallu que les troupes alliées interviennent bien avant cette date, lorsque les chambres à gaz tournaient à plein régime, engloutissant jusqu’à dix mille êtres humains par jour. Au lieu de quoi elles trouvèrent quelques milliers de cadavres et de survivants squelettiques, les autres ayant déjà été évacués par les nazis lors des sinistres « marches de la mort » vers d’autres camps.


Ici je ne peux m’empêcher de penser à Haïm-Vidal Sephiha né le 28 janvier 1923 et disparu le 17 décembre dernier. Déporté à Auschwitz et ayant participé à une de ces terribles marches de la mort, il nous a maintes fois raconté comment il s’est accroché à la vie ce 28 janvier 1945 en se murmurant sans cesse : « Tu ne vas quand même pas mourir le jour de tes 22 ans ! Il faut continuer coûte que coûte ». Il aurait eu 97 ans mardi prochain. Paix à son âme et à celles de tous les survivants disparus depuis lors.
Voici ce que dit Wikipédia à propos de la date du 27 janvier : « La Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste, International Holocaust Remembrance Day, est une journée internationale du souvenir de l’Holocauste et de prévention des crimes contre l’humanité instituée à l’initiative des ministres de l’Éducation des États membres du Conseil de l’Europe en octobre 2002 et suivie par l'Organisation des Nations unies. Par une résolution intitulée « Mémoire de l’Holocauste » adoptée le 1er novembre 2005, l’Assemblée générale a décidé que les Nations unies la célèbreraient chaque année, le 27 janvier, à la date d’anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz. […] Cette résolution, intitulée « Mémoire de l'Holocauste », a été adoptée le 21 novembre 2005. Elle rappelle les droits et libertés associées à la Déclaration universelle des droits de l’homme, « sans distinction aucune, notamment fondée sur la race, sur la religion ou sur toute autre condition », elle rappelle également le principe fondateur des Nations unies, dont la création est liée à la défaite du régime nazi et « décide que les Nations unies proclameront tous les ans le 27 janvier Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste ». Elle encourage les États à promouvoir des projets éducatifs et à protéger les lieux de mémoire liés à l'Holocauste, elle condamne toute manifestation qui viserait à sa négation, l'intolérance religieuse et enfin s'engage à promouvoir un programme au niveau des Nations unies afin de perpétuer la mémoire de l'Holocauste et empêcher qu'un tel évènement se reproduise. »
L’idée du forum mondial pour mettre en application cette décision du Conseil de l’Europe puis des Nations Unies est due à Moshé Kantor, président du Congrès juif européen, président du comité d’organisation du forum. Cet homme, entrepreneur russe milliardaire, par ailleurs chef de la communauté juive de son pays, a mis toute son énergie et sa fortune au service de ce forum. Quatre éditions de cet événement ont eu lieu en 2005 à Cracovie, en 2006 à Kiev, en 2010 à Cracovie, en 2015 à Prague et Terezin. Il est significatif et ô combien symbolique que ce cinquième forum se tienne à Jérusalem et soit accueilli à Yad Vashem, haut-lieu de la mémoire de la Shoah. Il faut savoir que ce forum mondial porte également le nom de Laissez vivre mon peuple ! Pour avoir suivi, entre autres, les interventions du président de l’Etat d’Israël, Reuven Rivlin et du premier Ministre, Benjamin Netanyahou, j’ai pu mesurer combien l’accent a été mis sur l’antisémitisme dont c’était l’un des thèmes de ce forum, l’autre étant « se souvenir de la Shoah ». Les discours de ces deux hommes ne laissaient aucun doute quant à la volonté d’Israël de combattre partout dans le monde l’antisémitisme et de défendre avec la plus grande énergie le pays des menaces, voire des passages à l’acte, dont il est continuellement l’objet. La situation qui prévalait avant et pendant la Shoah, faisant des Juifs les victimes et les boucs émissaires des pouvoirs totalitaires ne se renouvellera plus. Israël s’en porte garant et s’est donné tous les moyens pour assurer ce nouvel état des choses.
Ce qui est rassurant, c’est que des nations de plus en plus nombreuses aient pris conscience de cette réalité et mis en œuvre des mesures pour que le vœu pieux de « plus jamais ça » se traduise par des actes. Le président Rivlin a distribué des bons points à plusieurs pays (l’Allemagne, le Royaume Uni, la France, la Russie, etc.) pour leurs efforts afin d’endiguer l’antisémitisme renaissant.
Un discours a été particulièrement émouvant : celui du président allemand Frank-Walter Steinmeier. Il l’a débuté par la récitation en hébreu de la bénédiction que l’on dit lorsqu’on arrive à un événement important. « Béni soit le Seigneur pour m’avoir permis d’être ici ce jour ». Puis il a poursuivi en citant le nom de quelques victimes de la déportation. « Ici, à Yad Vashem, brûle la flamme éternelle en souvenir des victimes de la Shoah. Ce lieu nous rappelle leur souffrance. La souffrance de millions de personnes. Et il nous rappelle leur vie – chaque vie individuelle. […] Moi aussi, je me tiens devant cette stèle en tant qu’être humain – et en tant qu’Allemand. Je me tiens devant leur monument. Je lis leurs noms. J’entends leurs histoires. Et je m’incline dans la plus grande tristesse. Samuel et Rega, Ida et Vili étaient des êtres humains. Et cela doit également être dit ici : Les auteurs étaient des êtres humains. C’étaient des Allemands. Ceux qui ont assassiné, ceux qui ont planifié et aidé à l’assassinat, les nombreux qui ont silencieusement franchi la ligne : C’étaient des Allemands. Le massacre industriel de six millions de Juifs, le pire crime de l’histoire de l’humanité, a été commis par mes compatriotes. Cette terrible guerre, qui a coûté bien plus de 50 millions de vies, elle a été menée par mon pays. 75 ans après la libération d’Auschwitz, je me présente devant vous tous en tant que Président de l’Allemagne – je me tiens ici chargé du lourd fardeau historique de la culpabilité. […] La flamme éternelle à Yad Vashem ne s’éteint pas. La responsabilité de l’Allemagne n’expire pas. Nous voulons être à la hauteur de notre responsabilité. C’est à cela que vous devez nous mesurer. […] Oui, nous, les Allemands, nous nous en souvenons. Mais il semble parfois que nous comprenions mieux le passé que le présent. Les esprits du mal apparaissent sous une nouvelle forme, présentant leur pensée antisémite, raciste et autoritaire comme une réponse pour l’avenir, une nouvelle solution aux problèmes de notre époque. J’aimerais pouvoir dire que nous, les Allemands, avons appris de l’histoire une fois pour toutes. Mais je ne peux pas dire cela alors que la haine se répand. Je ne peux pas dire cela lorsque des enfants juifs se font cracher dessus dans la cour d’école, je ne peux pas dire cela lorsque l’antisémitisme grossier se cache sous une prétendue critique de la politique israélienne. Je ne peux pas dire cela lorsque seule une épaisse porte en bois empêche un terroriste de droite de provoquer un bain de sang dans une synagogue de la ville de Halle, le jour du Yom Kippour. ̶ Bien sûr, notre époque est différente. Les mots ne sont pas les mêmes. Les auteurs ne sont pas les mêmes. Mais c’est le même mal. Et il ne reste qu’une seule réponse : Plus jamais ça ! Nie wieder ! […]  « Qui sait si nous entendrons encore jamais le son magique de la vie ? Qui sait si nous pouvons nous tisser une toile pour l’éternité ? » Salmen Gradowski a écrit ces lignes à Auschwitz et les a enterrées dans une boîte de conserve sous un crématorium. Ici, à Yad Vashem, elles sont tissées pour l’éternité : Salmen Gradowski, Samuel et Rega Tytelman, Ida et Vili Goldish. Ils ont tous été assassinés. Ils ont perdu la vie à cause d’une haine sans limite. Mais notre souvenir d’eux permettra de vaincre l’abîme. Et nos actions vaincront la haine. Pour ceci, je me lève. Pour cela, j’espère. » Et le président allemand a conclu son discours par la récitation, une nouvelle fois, de la bénédiction prononcée au début.
J’aurais pu conclure par ces paroles inouïes venant de la plus haute autorité du pays qui engendra le chaos et la tourmente, la désolation et la catastrophe (en hébreu shoah). Mais je voudrais quand même ajouter quelques mots encore pour dire combien toutes ces présences officielles dans ce lieu si symbolique de Yad Vashem, ces paroles fortes et émouvantes à la fois, résonnant 75 ans après l’ouverture du camp d’Auschwitz et celle des autres camps d’extermination nazis, à Jérusalem, capitale de l’Etat d’Israël bâti dans la sueur et le sang par des survivants du pire génocide de l’histoire des hommes, combien donc ce rassemblement fraternel des plus grandes nations de la terre en ce jour et en ce lieu pourrait être annonciateur de temps messianiques à la condition que toutes ces paroles, et ces accolades chaleureuses, et ces larmes discrètement écrasées, et ce respect mutuel ne restent pas lettres mortes.
Shabbath shalom à tous et à chacun, Daniel Farhi.

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