Hag saméah, moadim lesimha ! חג שמח מועדים לשמחה
Bonne fête de Pâque !
Confinement, esclavage et liberté : la onzième plaie
Confinement, esclavage et liberté : la onzième plaie
En quoi cette nuit est-elle différente des autres
nuits ? C’est par cette question ma nishtana halaïla hazé mikol halélot
que s’ouvrira la soirée du séder de Pessah demain soir. S’il y a bien
une année où ce questionnement posé dès l’ouverture de la fête par le plus
jeune des participants à l’assemblée des adultes autour de lui sera chargé de
sens, c’est cette année. Outre l’étonnement provoqué par la présence insolite sur
le plateau d’herbes amères, d’eau salée, d’un os d’agneau, de harosseth
et de pain azyme, sur l’injonction de manger accoudés alors que toute l’éducation
reçue nous a toujours appris à ne pas le faire, il y aura le fait que l’assemblée
sera considérablement réduite, voire inexistante ; que certains convives
porteront des masques et qu’au lieu d’être resserrés autour de la table, il y
aura une distance obligatoire observée entre les participants.
Et tout cela pourquoi ? A cause de la terrible pandémie qui frappe le monde entier depuis quatre mois, répandant un virus dont la couronne est d’épine, le coronavirus.
Et tout cela pourquoi ? A cause de la terrible pandémie qui frappe le monde entier depuis quatre mois, répandant un virus dont la couronne est d’épine, le coronavirus.
Oui, en quoi cette année est-elle différente des
autres années ? Elle l’est parce que ce qui nous advient n’avait jamais
été vécu auparavant, ni par nos parents ni par nos ancêtres. Ou alors, il faut
remonter à la grande peste de 1347-1352 dite « peste noire » qui anéantit
environ 25 millions d’Européens, c’est-à-dire de 30 à 50% de la population d’alors.
Plus près de nous, c’est la grippe dite « espagnole » de 1918-1919
qui fit de 20 à 50 millions de victimes, peut-être 100 millions selon des
estimations récentes. Cette pandémie éclata aux Etats-Unis puis se répandit en
Europe au moment du débarquement du corps expéditionnaire américain à Bordeaux
en avril 1918 venu appuyer l’effort de guerre des Alliés contre l’Allemagne. –
Evidemment, la médecine moderne n’a plus rien à voir avec celle du Moyen-Âge,
ni même avec celle du début du XXème siècle. Ses progrès nous
permettent de croire que le nombre de victimes sera infiniment moindre que lors
des deux grandes pandémies précédentes. L’hygiène autant que l’état de la
science limiteront certainement les effets du virus qui a soudainement fait son
apparition en Chine à la fin de l’année dernière. Pour autant, les conséquences
humaines en seront peut-être plus graves que précédemment. Le 1er
août 1919, Paul Valéry déclarait : « Nous autres, civilisations, nous
savons maintenant que nous sommes mortelles » (cité par Béatrice Houchard
dans son livre « Le Tour de France et la France du Tour », éd.
Calmann-Lévy, 2019). Il s’exprimait après la fin de la première guerre mondiale
et de la grippe espagnole, deux fléaux majeurs : l’un d’origine humaine, l’autre
d’origine sanitaire.
Qu’en sera-t-il de la société après la fin de l’actuelle
pandémie, cette onzième plaie qu’il nous faudra sans aucun doute prendre en
compte lorsque demain soir nous énumérerons les dix plaies qui frappèrent l’Egypte
au temps de Moïse ? Peut-on imaginer que ce à quoi nous assistons aujourd’hui
laissera notre humanité indemne ? Non pas. Les mesures que les
gouvernements de tous les pays, conseillés par les plus hautes sommités
médicales, ont dû adopter et qui nous font, entre autres, célébrer cette Pâque
juive, mais aussi les Pâques chrétiennes et, dans quelques jours le Ramadan
musulman, d’une manière absolument inédite, laisseront des traces dans nos
consciences et dans nos comportements. Sans compter – mais comment l’ignorer –
les terribles conséquences économiques qui aggraveront la misère d’innombrables
hommes et femmes, plongeront dans la faillite une infinité d’entreprises et
dans le désarroi toutes nos sociétés. Sans compter la chasse aux
responsabilités des politiques en face de ce type de situation. D’autres l’ont
déjà prédit et écrit, mais pour l’instant, ces querelles sont mises de côté car
il faut faire face à la tempête et agir de conserve.
Pour les soirées de cette Pâque, nous qui ne sommes
pas des décideurs devons rester fidèles à nos traditions tout en tenant compte
de certaines réalités de l’heure. – Nos traditions d’abord : s’assoir
autour de nos tables familiales, certes amputées de beaucoup de nos proches,
pour y faire le récit sans cesse renouvelé et jamais interrompu de l’esclavage
de nos ancêtres en Egypte, de leur libération miraculeuse et de leur longue
marche vers la liberté, le Sinaï et la terre promise. Il nous faudra lire
attentivement la Haggadah, le livre qui fait mémoire de tous ces événements
dont l’actualité à travers les siècles ne s’est jamais démentie pour notre
peuple. Nous avons été esclaves, nous sommes libres ; cette réalité ne
doit jamais quitter nos consciences. Nous ne connaissons que trop bien l’âme de
l’étranger pour avoir été étrangers nous-mêmes en Egypte il y a plus de trois
millénaires, mais aussi parmi d’autres peuples depuis lors. Aussi, lorsqu’à
notre tour, nous croisons des étrangers, il convient de nous porter vers eux
et, selon l’expression biblique, de ne pas nous dérober devant ceux qui sont
comme notre propre chair. Cette solidarité, cette fraternité ne doivent pas
être de vains mots, mais se traduire en paroles et en actes. Nous devrons nous nourrir
de ce pain de misère que sont les azymes pendant tous les jours de la fête. Et
nous dire que cette matsa est un pain non fermenté, donc pur même si
moins goûteux, et qu’il nous rappelle à plus de simplicité dans nos vies
quotidiennes. Nous devrons aussi mesurer que la libération totale de l’Egypte n’a
eu lieu qu’au moment où les Israélites sont arrivés au pied du mont Sinaï et
ont accepté sans conditions la Loi que Dieu leur proposait par l’intermédiaire
de Moïse. Et encore, que pour inscrire totalement cette loi dans leur cœur, il
aura fallu les quarante ans d’errance dans le désert.
Ainsi le long processus vers la liberté passe par la
contrainte. Paradoxalement, c’est en acceptant le ‘ol mitsvoth, le
joug des commandements, que les Hébreux sont vraiment devenus un peuple prêt à connaître
l’autonomie, puis la souveraineté sur sa terre. Je me demande si l’actuel « confinement »
qui nous est imposé et dont certains ont peut-être du mal à accepter les
contraintes n’est pas à considérer comme une des mitsvoth libératrices de la
Torah ? Nous avons tous compris que ce confinement est la condition
indispensable à l’arrêt de la propagation de cette nouvelle plaie qui frappe
impitoyablement et indistinctement tous les peuples de la terre. C’est à cela
que je pensais en parlant plus haut de tenir compte des réalités de l’heure.
Oui, nos traditions sont très anciennes et très belles, mais il ne faudrait en
aucun cas qu’elles contreviennent aux exigences d’un principe érigé en règle
fondamentale par le judaïsme, celui de pikouah néfesh, le salut
de la vie. De nombreux responsables communautaires, religieux et laïcs, ont mis
en garde nos coreligionnaires sur le respect absolu du confinement et des « gestes
barrières » à l’occasion de notre fête de Pessah. L’Etat d’Israël a
mis en place un couvre-feu absolu pour empêcher les familles de se déplacer
pour se réunir. Le confinement et toutes les mesures qui l’accompagnent sont à
prendre comme un impératif aussi vital que le respect des commandements
religieux du judaïsme. Si d’aucuns y dérogent, n’ayons aucune indulgence
coupable vis-à-vis d’eux. Et disons-nous que le vœu qui clôt la lecture de la
Haggadah, « l’an prochain à Jérusalem » peut aussi se traduire par l’espoir
que cette année n’aura été qu’une parenthèse douloureuse mais nécessaire dans
la longue chaîne de nos traditions familiales.
Je suis fermement convaincu que de cette terrible
pandémie jaillira un monde meilleur dont les innombrables exemples de dévouement,
de générosité, de solidarité et de compassion auxquels nous assistons nous
offrent le présage. Soyons raisonnables et … patients.
Hag saméah, moadim lesimha, bonne fête de Pessah à tous et à chacun,
Daniel Farhi.
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