jeudi 28 mai 2020

Une lettre du Rabbin Daniel Farhi




Hag saméah ! Shabbath Shalom !
 
  חג שמח , ושבת שלום ! Bonne fête de Shavouoth !



Appel à témoin.

C’est peut-être un effet du confinement, mais je n’arrive plus à me rappeler cette journée vieille de 3500 ans où mes ancêtres se tenaient, paraît-il, au pied du Mont Sinaï, et pour laquelle nous fêtons Shavouoth. Pourtant, à Pessah, il y a quarante-neuf jours, les événements relatés par la Haggadah étaient parfaitement présents à mon esprit. Je me sentais comme si j’étais moi-même sorti d’Egypte.

Je pouvais sans difficulté me représenter les flots de la mer Rouge m’environnant sur ma gauche et sur ma droite. J’entendais distinctement les sabots des chevaux des soldats du pharaon derrière moi. J’apercevais au loin la terre promise. Je chantais avec les Hébreux un cantique de reconnaissance sur la rive opposée de la mer tandis que les armées égyptiennes s’y noyaient. Et puis, nous avons commencé de marcher dans ce désert hostile et mes souvenirs s’estompent. Je me rappelle que nous étions à la fois soulagés d’avoir enfin échappé au puissant monarque qui nous avait asservis durant quatre-cents ans, et effrayés par les dangers qui nous guettaient : bêtes sauvages, absence d’eau, de nourriture. Nous avons même vu les ossements de nos malheureux frères de la tribu d’Ephraïm qui avaient cru pouvoir anticiper la libération générale et n’avaient pas attendu les ordres de Moïse pour quitter l’Egypte. Ils avaient tous péri sous la main de leurs ennemis.
Je me souviens de ceux qui nous disaient : de grandes choses nous attendent. Vous allez assister à un événement sans précédent et sans suivant. Mais ma mémoire s’arrête là parce que les soucis du quotidien nous ont vite submergés. Il y a eu nos plaintes contre Moïse, Aaron et Myriam, les trois enfants d’Amram et de Yokhéved, que nous rendions responsables de nos déboires. Et puis, un certain jour, Moïse nous a fait annoncer que nous allions camper au pied d’une petite montagne pour nous préparer à entendre la parole de l’Eternel, du Dieu qui avait eu raison de toutes les divinités égyptiennes et du pharaon. Il allait nous parler à nous, peuple insignifiant et misérable. Pour nous dire quoi ? Qu’attendait-Il de nous ? Quelle serait notre destinée ? Toutes ces questions ont fait que mes souvenirs sont brouillés. – Je sais qu’il y a eu des éclairs et du tonnerre. Je sais que nous avons eu très peur, au point d’envoyer Moïse écouter ce que Dieu voulait de nous. Et, quand j’y repense, j’ai l’impression d’avoir été un spectateur épouvanté de quelque chose que je ne comprenais pas.

C’est pour ça que je lance un appel à témoin. S’il y a un homme ou une femme qui peut me dire ce qu’il(elle) a vu réellement, j’aimerais le(la) rencontrer pour en parler. J’ai lu quelque part que la moindre servante parmi les Hébreux de cette époque a vu plus de choses que n’importe quel grand rabbin de notre tradition. C’est incroyable ! Alors, je suis prêt à me faire humble pour aller trouver cette femme, sans doute inculte, qui a infiniment plus de connaissances et d’expérience spirituelle que je n’en aurai jamais. Je demande à ce témoin de bien vouloir se faire connaître et de m’expliquer cette fête de Shavouoth où nous commémorons un événement auquel aucun d’entre nous n’a vraiment assisté et où, pourtant, nous savons à la lettre près ce qui s’y est dit et écrit. Dix Paroles certes, mais entendues par qui, et engageant qui ? On m’a toujours appris à ne pas signer un document sans l’avoir lu attentivement. Or là, je lis que le peuple tout entier refusa d’entendre la parole divine et délégua tous ses pouvoirs à Moïse. J’apprends aussi qu’une servante illettrée en sait plus sur la question que le plus érudit de nos maîtres ! Je demande à comprendre parce qu’en fin de compte, ce que je constate, c’est que ces Dix Paroles m’engagent plus qu’un acte signé en bonne et due forme et m’ont valu plus de malheurs que de joies au cours de mon histoire. J’ai même lu que le mont Sinaï où tout cela se serait passé s’appelle ainsi à cause du mot sine’a, la haine, celle que, par jalousie, les peuples ont déversé sur moi.

Alors, si ce témoin existe, qu’il parle maintenant ou qu’il se taise à jamais. Qu’au moins il m’explique mon histoire et si je dois la poursuivre fièrement ou l’abandonner comme beaucoup le voudraient. Qu’il me déconfine ce témoin et me permette de vivre une existence sensée où chacune de mes pensées, chacun de mes actes auront une signification qui légitime que je me réjouisse de ce zemane matane Toraténou, ce temps du don de notre Torah.

Hag saméah et Shabbath Shalom à tous et à chacun
Daniel Farhi.

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