Hag saméah ! Shabbath Shalom !
חג שמח , ושבת שלום ! Bonne fête de Shavouoth !
Appel à témoin.
C’est peut-être un effet du confinement, mais je n’arrive
plus à me rappeler cette journée vieille de 3500 ans où mes ancêtres se
tenaient, paraît-il, au pied du Mont Sinaï, et pour laquelle nous fêtons
Shavouoth. Pourtant, à Pessah, il y a quarante-neuf jours, les événements
relatés par la Haggadah étaient parfaitement présents à mon esprit. Je me
sentais comme si j’étais moi-même sorti d’Egypte.
Je pouvais sans difficulté me
représenter les flots de la mer Rouge m’environnant sur ma gauche et sur ma
droite. J’entendais distinctement les sabots des chevaux des soldats du pharaon
derrière moi. J’apercevais au loin la terre promise. Je chantais avec les
Hébreux un cantique de reconnaissance sur la rive opposée de la mer tandis que
les armées égyptiennes s’y noyaient. Et puis, nous avons commencé de marcher dans
ce désert hostile et mes souvenirs s’estompent. Je me rappelle que nous étions
à la fois soulagés d’avoir enfin échappé au puissant monarque qui nous avait
asservis durant quatre-cents ans, et effrayés par les dangers qui nous
guettaient : bêtes sauvages, absence d’eau, de nourriture. Nous avons même
vu les ossements de nos malheureux frères de la tribu d’Ephraïm qui avaient cru
pouvoir anticiper la libération générale et n’avaient pas attendu les ordres de
Moïse pour quitter l’Egypte. Ils avaient tous péri sous la main de leurs
ennemis.
Je me souviens de ceux qui nous disaient : de grandes choses nous
attendent. Vous allez assister à un événement sans précédent et sans suivant. Mais
ma mémoire s’arrête là parce que les soucis du quotidien nous ont vite
submergés. Il y a eu nos plaintes contre Moïse, Aaron et Myriam, les trois
enfants d’Amram et de Yokhéved, que nous rendions responsables de nos déboires.
Et puis, un certain jour, Moïse nous a fait annoncer que nous allions camper au
pied d’une petite montagne pour nous préparer à entendre la parole de l’Eternel,
du Dieu qui avait eu raison de toutes les divinités égyptiennes et du pharaon.
Il allait nous parler à nous, peuple insignifiant et misérable. Pour nous dire
quoi ? Qu’attendait-Il de nous ? Quelle serait notre destinée ?
Toutes ces questions ont fait que mes souvenirs sont brouillés. – Je sais qu’il
y a eu des éclairs et du tonnerre. Je sais que nous avons eu très peur, au
point d’envoyer Moïse écouter ce que Dieu voulait de nous. Et, quand j’y
repense, j’ai l’impression d’avoir été un spectateur épouvanté de quelque chose
que je ne comprenais pas.
C’est pour ça que je lance un appel à témoin. S’il y a un homme ou une
femme qui peut me dire ce qu’il(elle) a vu réellement, j’aimerais le(la)
rencontrer pour en parler. J’ai lu quelque part que la moindre servante parmi
les Hébreux de cette époque a vu plus de choses que n’importe quel grand rabbin
de notre tradition. C’est incroyable ! Alors, je suis prêt à me faire
humble pour aller trouver cette femme, sans doute inculte, qui a infiniment
plus de connaissances et d’expérience spirituelle que je n’en aurai jamais. Je
demande à ce témoin de bien vouloir se faire connaître et de m’expliquer cette
fête de Shavouoth où nous commémorons un événement auquel aucun d’entre nous n’a
vraiment assisté et où, pourtant, nous savons à la lettre près ce qui s’y est
dit et écrit. Dix Paroles certes, mais entendues par qui, et engageant qui ?
On m’a toujours appris à ne pas signer un document sans l’avoir lu
attentivement. Or là, je lis que le peuple tout entier refusa d’entendre la
parole divine et délégua tous ses pouvoirs à Moïse. J’apprends aussi qu’une
servante illettrée en sait plus sur la question que le plus érudit de nos
maîtres ! Je demande à comprendre parce qu’en fin de compte, ce que je
constate, c’est que ces Dix Paroles m’engagent plus qu’un acte signé en bonne
et due forme et m’ont valu plus de malheurs que de joies au cours de mon
histoire. J’ai même lu que le mont Sinaï où tout cela se serait passé s’appelle
ainsi à cause du mot sine’a, la haine, celle que, par jalousie, les
peuples ont déversé sur moi.
Alors, si ce témoin existe, qu’il parle maintenant ou qu’il se taise à
jamais. Qu’au moins il m’explique mon histoire et si je dois la poursuivre
fièrement ou l’abandonner comme beaucoup le voudraient. Qu’il me déconfine ce
témoin et me permette de vivre une existence sensée où chacune de mes pensées,
chacun de mes actes auront une signification qui légitime que je me réjouisse
de ce zemane matane Toraténou, ce temps du don de notre Torah.
Hag saméah et Shabbath Shalom à tous et à chacun
Daniel Farhi.
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